AIK - Hammarby : Allsvenskan, la meilleure ligue de fans en Europe ?

J’aime bien qu’une saison d’Allsvenskan, comme l’Eliteserien (Norvège), se dispute sur une année civile. Dès le mois de janvier ça permet de s’organiser pour ce week-end de septembre. Avec deux derbys la même journée (l’autre étant IFK Goteborg - GAIS), j’allais forcément tomber sur l’un d’eux le dimanche.
La billetterie
C’est sans surprise AIK - Hammarby qui a obtenu le créneau TV le plus populaire : dimanche à 14h. C’est pratiquement toujours le cas. Tandis que le derby de Goteborg a été planifié au lundi à 19h. Tant pis pour moi. De toute façon, et même si quelques français y étaient, il n’y a pas de vente générale donc c’est compliqué de parier à l’avance sur ce match. Au contraire d’un derby de Stockholm qui atteint très facilement la vente générale.
Il n’y a même pas obligation de se presser, en tout cas s’il se joue à la Strawberry Arena d'à peine plus de 47 000 places (contre 40 000 pour la Tele2 Arena). Le stade se remplit jusque dans les derniers jours avant la rencontre. Agir dans la précipitation, c’est pourtant ce que j’ai fait en achetant mes places depuis mon téléphone sur le trajet de l'aéroport à Prague (le 26/08/2024)… en me trompant de match. Heureusement, la Suède est un pays formidable. Un mail pour expliquer ma bévue, une réponse immédiate sans chichis : ils annulent ma commande et me remboursent (alors que l’e-ticket était déjà généré et téléchargeable). Mais ça ne serait qu’un détail si cela s’arrêtait là.
La meilleure Ligue pour les fans en Europe ?
Je suis retombé sur un article fin 2023 de grande qualité du New York Times qui résume mieux que je ne pourrais le faire le football suédois. Attention amateurs de football français, mouillez-vous la nuque :
Le football suédois a fait passer les fans avant les finances Maintenant, les affaires explosent. (à lire en anglais et dans sa version gratuite sur Japan Times)
Si j’en parle maintenant, c’est que le contenu de l’article retranscrit de façon proche mon ressenti et expérience en Suède, avec ce match comme avec les précédents (10 matchs en Suède). Et que dans une certaine mesure, notre football français pourrait en retenir quelques belles leçons.
Au lieu de s’accrocher à des ombres (les ligues les plus puissantes), la Suède a réagi en prenant un autre chemin. En 1999, le pays a inscrit dans la loi une règle selon laquelle 51% de ses équipes sportives devaient appartenir à leurs membres : les supporters. [...] Dans les années 2000, l’Allsvenskan n’était le championnat préféré que pour 11% des fans suédois de football. [...] Incapable de se tourner vers de riches investisseurs, le SEF a exploité la force la plus évidente du pays, les fans. [...] Ils ont négocié des limites de comportement, désignant l’envahissement du terrain et le jet de projectiles comme des lignes rouges, mais laissant une marge de manœuvre tacite sur la pyrotechnie au service du spectacle. Ils ont persuadé la police d’adopter une approche plus conciliante plutôt que de « traiter tous les fans comme des hooligans potentiels »
Une décennie plus tard, la transformation a été stupéfiante. [...]
La fréquentation a doublé au cours de la dernière décennie ; Chaque année, des foules record sont enregistrées. Les revenus de la ligue ont triplé au cours des 20 dernières années. Aujourd’hui, plus de 40 % des supporters suédois identifient l’Allsvenskan comme leur priorité.
Tout ce que le football suédois est devenu a été construit par et pour les gens qui vont le voir dans les stades : l’absence d’entreprises, de fonds souverains et de « projets multiclubs » dans les rangs des propriétaires de clubs ; un investissement soutenu dans les équipes féminines ; l’interdiction officieuse d’organiser des camps d’entraînement dans les États autoritaires ; Une règle stipulant que la ligue doit donner un préavis d’au moins deux mois avant de déplacer des matchs pour la télévision.
L’illustration la plus claire est que la Suède – seule parmi les grandes nations européennes – a résisté à l’introduction d’arbitres assistants vidéo. « Je pense que les fans ont l’impression que cela perturbe l’ambiance dans le stade ».
L’article remonte cependant quelques problèmes (l’article est né des débordements lors du titre de Malmo sur le dernier match de la saison) : Alors que le championnat avait pour habitude de voir un Champion différent couronné chaque saison, les gains de participation à la Ligue des Champions renforcent ces dernières années l’avantage concurrentiel de Malmö.
Enfin, la question des ultras pose également un problème. « C’est comme s’il y avait deux matchs en cours ». « Un sur le terrain, et un dans les gradins, où ces groupes voient comment ils peuvent afficher leur puissance, et cela ne les dérange pas si 20 000 autres personnes doivent attendre pendant qu’ils le font. »
Cette analyse, on en a fait en quelque sorte notre constat lors du week-end. Les matchs ont été arrêtés 30 minutes (45 pour le derby de Goteborg) mais ne dérangeant finalement personne dans les tribunes. Pas de conflit entre les tribunes populaires et les latérales. C’était au contraire un bonus pour prolonger la fête, à défaut de voir du grand football sur le terrain. Mais on se demande dès lors l’intérêt d’arrêter si longuement un match puisque les supporters sont heureux ?
De mon ressenti, ils arrêtent les matchs par sécurité mais sans avoir besoin de les dramatiser ni de racketter les clubs : Les fans font partie de la Ligue, des matchs. Aucune limite n’a été franchie, aucun danger, c’était juste festif. Il n’y aura pas ou peu de sanctions : une semaine plus tard, aucune communication de la Ligue ou d'AIK n'avait été faite en ce sens.
Johan Lindvall, le secrétaire général de la ligue tient forcément des propos élogieux : « l’atmosphère dans les tribunes est la meilleure d’Europe. » et l’article de conclure : Les jours de match sont à la fois la pierre angulaire sur laquelle tout le succès a été construit, et la preuve du chemin parcouru.
Dans un communiqué du vendredi 27/09/2024, il a renouvelé ses critiques positives auprès des clubs et supporters sur la situation actuelle de la Ligue avec du dialogue et une bonne situation sécuritaire sur la saison. Non sans un certain mea culpa sur un maintien de l’ordre peut-être dans des mauvaises proportions en début de saison.
Venons-en enfin concrètement à notre match.
Le stade
J’avais déjà fait la Strawberry Arena, nouveau nom du stade de l’AIK sponsorisé par une chaîne hôtelière. Mais je n’avais pas eu l’occasion d’en faire un compte-rendu en bonne et due forme puisque j’étais arrivé en retard au match.


Et bien je le préfère à la un peu plus impersonnelle Tele2 Arena (stade d’Hammarby et Djurgårdens). Le stade est plus grand mais des rideaux viennent cacher le dernier niveau si nécessaire, j’avais pu le constater pour mon premier match au stade. Le rendu est ainsi excellent en toute circonstance. Evidemment, sur ce derby les tribunes sont intégralement ouvertes et à 99% complètes.
A l’époque, j’avais également apprécié les coursives du niveau inférieur en latérale : une belle ambiance sur la partie basse, la possibilité de se promener, rester debout, en gardant vue sur le terrain. Aujourd’hui, on était au deuxième niveau. Les coursives étaient encore d’une qualité supérieure. A tel point qu’en y rentrant on a pendant un instant cru rentrer en VIP. C’est extrêmement épuré et équipé avec des tables et autant de chaises qu’il y’a de supporters. Jusqu’aux portes pour accéder à sa tribune, on ressent immédiatement le stade multi-usage. Cela fait penser à une grosse salle de concerts comme la Défense Arena.

Pour continuer en ce sens, dans les tribunes on a des sièges plus confortables que la moyenne. RAS non plus sur la visibilité parfaite du terrain. Néanmoins, pour les plus exigeants, depuis notre bloc on avait une vue partielle sur la tribune basse en dessous. C’est un peu dommage car l’ambiance du virage continue de prendre un peu sur les côtés de la latérale. Lors de ma première expérience au stade, des fans assez chauds (anciens ultras selon moi, à la vue des t-shirts portés) y prenaient place.
Mais si vous êtes en bas, vous ne voyez pas la tribune supérieure donc vous y perdez aussi. Mon conseil : sur un petit match, être en bas pour s’assurer d’être dans un bloc plein avec des fans investis. Pour un gros match, c’est plus discutable. Nos places étaient excellentes pour voir le spectacle dans les deux virages. Encore que, le soleil m’a fait chier pour voir les fans d’Hammarby et prendre des bonnes photos.
Pour rappel, lors des derbys toute une tribune est réservée aux supporters visiteurs. On a déjà vu ça dans d’autres pays mais le cas où les deux clubs ne partagent pourtant pas le même stade est plus rare (contrairement à Hammarby et Djurgården).
Le match et l’atmosphère
C’est peu dire que le spectacle dans les tribunes était bien présent dans le match le plus important de la saison selon un communiqué des ultras d’AIK Norra stå. Les deux clubs (respectivement 11 et 7ème en 2023) luttent pour une place européenne.
L’avant-match reste néanmoins sobre jusqu’à l’approche du coup d’envoi. Mais à partir de là, on a eu une ambiance incroyable pendant plus de deux heures (dont 30 minutes suite à l’arrêt du match).
Les deux camps ont dévoilé de grosses animations, plus impressionnantes côté hôte. Les deux tifos côté AIK rendent hommage à Putte Kock, ancien joueur d’AIK entre 1915 et 1928 puis coach de la sélection nationale. Après cette carrière d'entraîneur, il est également devenu un célèbre commentateur sportif. C’était également un joueur de bridge et un gros fumeur de cigares d’où la représentation sur les tifos.




Celui des fans d’Hammarby ne nécessite pas d’explication.


La première mi-temps était lancée avec une surprenante équipe d’AIK sur le jeu court avec des bons enchaînements mais ne se créant des occasions franches que sur les énormes erreurs de relance d’Hammarby.
Dans les tribunes, j’ai eu le même ressenti avec une domination du virage de l’AIK, très bien organisé et bien plus impressionnant vocalement selon moi. On était centré mais quand même un peu plus proche d’AIK, est-ce l’explication ?

Jusqu’alors modeste en pyrotechnie, les deux camps ont repris très fort la seconde mi-temps avec pots de fumée, fumigènes et feu d’artifice.



Puis un peu plus tard dans le match, ceux d’Hammarby ont brûlé 2-3 matos d’AIK. Cela fait référence à une "fight" entre les deux groupes, où chacun s'est retrouvé démuni de quelques hauts. Une banderole venait l'expliquer en accompagnement : Nous sommes Hammarby. Nous sommes toujours debout. UN (Ultras Nord AIK) Style : Quitte la moitié du groupe avec son torse nu.

Un geste qui est apparu bien gentil quand les ultras d’AIK ont ramené dans la foulée son “étendoir à linges” d’une grosse dizaine de vêtements d’Hammarby.

Le feu était autrement plus impressionnant. C’est la petite cerise sur le gâteau de ce match puisque malgré d’innombrables expériences, c’est quelque chose que j’ai rarement vu dans cette proportion dans un stade, à part sur un derby de Belgrade.

Il a d’ailleurs entraîné l’arrêt du match pour une durée un peu excessive de 30 minutes comme je le disais en début d’article. Du temps supplémentaire qui a fait plaisir à tout le monde dans les tribunes, l’ambiance était géniale dans tout le stade. Surtout que le match était devenu de piètre qualité, on aurait commencé à s’ennuyer sans cette pause festive.
Malgré l’intensité et le niveau de jeu de plus en plus faible, j’ai bien apprécié de voir des joueurs engagés et à appeler toujours plus au soutien du public. J’ai pourtant osé penser que c’était peine perdue et qu’on allait pas pouvoir provoquer et obtenir grand chose de cette seconde mi-temps.
Le site du club n’en pense pas moins : Il n’y a pas eu beaucoup de beau match dans le derby et à part quelques duels durs et des sifflets de l’arbitre Nyberg, il ne s’est presque rien passé sur le terrain. Il n’y a pas eu de jeu construit de la part de l’une ou l’autre équipe pendant les dernières minutes du match et tout indiquait que le match se terminerait par un match nul alors que le chronomètre approchait des 90 minutes jouées.
Et le miracle est apparu. Enfin un but, celui de la victoire, dans les arrêts de jeu. Devant le virage de l’AIK. Un scénario parfait à un match des tribunes qui avait déjà répondu à toutes nos attentes. Les joueurs et supporters pourront célébrer cette victoire extrêmement importante dans la course à l’Europe.




La ville et la musique
Le retard accumulé pendant le match ne nous aura malheureusement pas permis d’enchainer avec l’AIK en hockey sur glace. Mais le week-end n’en aura pas été moins rythmé et qualitatif car on a toujours de quoi se régaler à Stockholm. Vous pouvez pour ça relire mon compte-rendu où je parlais longuement de Stockholm : Hammarby - GIF Sundsvall (5 jours à Stockholm).
Je suis d'ailleurs retourné au Stockholm Stadium, cette fois-ci avec des travaux terminés. Le stade semble être en accès libre pour le visiter, même si la semaine en journée, il est utilisé par des écoles.





Chaque tour dans la ville m’a rappelé à quel point Stockholm était l’une des villes les plus appréciables d’Europe. Même si mon voisin de stade, et supporter non dissimulé d’Hammarby (car c’est autorisé), a ironiquement répondu à mon engouement : “Reviens en Novembre”. Mais à toute saison je pense qu’on peut y retrouver le même plaisir car l’architecture de Stockholm y resterait magnifique.

Mais j’ai surtout profité de mon temps libre pour une autre passion : les concerts. Mon affinité pour la scène indépendante suédoise ne m’a jamais prise en défaut. J’avais un festival Jungfrukällan dans deux salles mitoyennes (Slaktkyrkan et Hus 7) le samedi qui faisait la part belle à des artistes indépendants suédois qui manquent d’une plateforme pour se faire connaître. Le concept était génial avec 12 groupes, + de 6 heures de découvertes musicales en ne ratant rien pour une trentaine d'euros. Pour ne citer que les deux meilleurs concerts de la soirée : Girl Scout et Svart Ridå.


Puis le lendemain j’ai refait confiance en une artiste qui m’était alors inconnue : Ionnalee et un concept de concert à 360°. Tous les murs de la salle Fotografiska (un célèbre musée privée consacrée à la photographie) diffusaient des images créées par l’artiste, parfois en temps réel, en même temps qu’elle jouait sa musique. Un joli spectacle musical et visuel.

L’expérience groundhopping
Bref, la Suède c’est vraiment mon pays et je n’en parle pourtant toujours pas un mot. La culture du pays est incroyable, qu’elle soit musicale ou sportive. Ils ont tout compris. On ne leur tiendra pas trop rigueur d’être des couche-tôt : les commerces ferment à 18h ou parfois même avant, les matchs se jouent à 19h en semaine, etc. Après ce derby, un journaliste italien prénommé Niccolò Anfosso plaçait ce derby parmi les 5 meilleurs d’Europe. Avec mes différentes expériences, je pense qu’on est dans le vrai même si sa liste (Istanbul, Glasgow, Belgrade, Athènes, Gênes) peut s’élargir à d’autres comme Göteborg, Vienne, Milan, etc. En tout cas, j’ai vécu une expérience incroyable.
La question qui peut alors se poser : quel derby de Stockholm choisir ? AIK - Hammarby serait aujourd’hui le meilleur même si des sources contradictoires comme Wikipedia vous laisseront croire qu’AIK - Djurgården est le plus réputé. De l’un à l’autre, je ne pense pas non plus que ça fasse des grandes différences. Mais je préfère en tout cas le stade plus grand de l’AIK (+ d’opportunités en animations et encore plus de tranquillité sur la billetterie). Les fans d’AIK me semblent également les meilleurs et les plus nombreux. Mais ça reste du chipotage subjectif. Je n’ai encore jamais vu Djurgårdens à domicile.
Le club est d’ailleurs fier d’annoncer cette saison plusieurs records de fréquentation dans l’Histoire de l’Allsvenskan. Note de contexte : c’est aussi le stade le plus grand d’Allsvenskan.